Texte de Philippe Natalini Gendarme devenu écrivain pour nous raconter la Provence !
“En ce début de semaine, je partage un petit conte de Noël provençal que j’ai trouvé sur le net, et dont l’auteur est inconnu.
Ni trop long, ni trop court, je souhaite qu’il embellisse votre journée et fasse ressurgir
votre âme enfantine croyant dur comme fer à la magie de Noël “
C’était une belle nuit de Provence, au ciel clair, sans un nuage qui vînt ternir le pur éclat des étoiles.
C’était une belle nuit figée de givre, nettoyée de mistral. C’était une belle nuit de paix…
C’était la veille de Noël.
Au mas, on avait semé le « blé de la Sainte Barbe », dans trois petits sietouns (assiettes).
Si pour Noël le blé a levé et se dresse bien vert, la récolte de l’année sera bonne.
Les enfants avaient installé la crèche, qui chaque année s’enrichissait de quelques santons, recréant la vie des paysans de chez nous.
Au milieu du petit village, sur les collines de papier froissé, les garrigues aux arbres figurés par du thym, les éclats de miroir devenus étangs, tout ce petit monde semblait vivant, on avait l’impression que la poissonnière vantait ses rascasses, que le gendarme venait de mettre la main au collet du boumian, que le tambourinaïre allait vous donner l’aubade et que les belles Arlésiennes allaient se lancer dans la farandole…
Ce matin, on avait dressé la table selon le rite calendal (Calendo, c’est Noël), avec les trois nappes, les trois chandeliers, les trois sietouns de blé qui évoquaient la Sainte Trinité.
Les treize desserts, qui rappelaient la dernière Cène, et pour le « gros souper », sept plats maigres en mémoire des sept douleurs de la Bonne Mère.
Dans la cheminée flamberait tout à l’heure la bûche de Noël, une belle bûche choisie avec soin, car elle devra se conserver jusqu’à l’Epiphanie, ensuite les restes en seront conservés pour protéger la maison et les terres de la maladie, du feu et des orages.
Elle doit venir d’un arbre fruitier toujours, mais jamais de figuier qui est l’arbre auquel Judas s’est pendu…
La veillée familiale commença par la cérémonie du « cacho-fio », l’allumage de la bûche. Après avoir fait 3 fois le tour de la table, portée par le plus vieux et le plus jeune de l’assemblé, elle fut déposée dans l’âtre, aspergée par trois fois de vin cuit par le petitou, tandis que l’aïeul récitait la formule traditionnelle :
Ensuite, la famille s’assit autour de la table,
pour partager joyeusement le gros souper.
Comme le veut la tradition, on avait mis un couvert de plus sur la table : c’est le couvert du pauvre.
Depuis toujours, si un pauvre frappait à la porte en ce soir de veillée, on le faisait entrer, asseoir à la table de la famille et on le servait de même que s’il en faisait partie.
Bien sûr, de nos jours, il n’y avait plus guère de pauvre qui venait frapper à la porte.
Mais le couvert était mis tout de même.
Et ce soir là, précisément, on frappa à la porte.
Ou plutôt, ce fut un coup sourd, un seul, contre le battant. Le maître se leva pour accueillir l’arrivant, il ouvrit la porte mais il ne trouva personne…
C’est alors que, baissant les yeux, il vit à ses pieds un chien qui, poussé sans doute par le mistral, était venu cogner la porte et restait affalé sur la pierre du seuil.
Un pauvre chien comme en on en voit souvent qui traînent dans la cour des mas ou qui accompagnent les pastres, bêtes au poil rêche et hirsute, mélange de tant de races qu’on ne les reconnaît plus…
Un vieux chien, à ce qu’il semblait.
Etait-il perdu ? L’avait-on jeté sur la route parce qu’il ne servait plus à rien ?
La pauvre bête n’aurait pu le dire, mais ses yeux contenaient toute la détresse du monde.
Alors le méstre ouvrit tout grand la porte :
« Vé, on l’aura tout de même, noste paure ! »
Le chien se glissa à l’intérieur, la tête basse.
Osco segur que ça ne devait pas lui arriver souvent d’être bien accueilli.
On le fit approcher de la cheminée, on lui servit une belle écuelle de pâtée qu’il avala de bon cœur, mais en jetant de temps en temps un petit regard furtif autour de lui.
L’écuelle vidée, il se coucha, les pattes repliées, avec un soupir d’aise.
Qu’il faisait bon être là, le ventre plein, bien au chaud, loin des assauts du mistral qui vous glace et vous rebrousse le poil, sans les cailloux du chemin qui meurtrissent les pattes…
Parfois, un des enfants se levait, posait sur son dos sa petite main en une rapide caresse.
Le vieux chien se prenait à rêver un instant qu’il était le chien de la maison…
Vint l’heure de se mettre en route pour la messe de minuit.
Quelqu’un fit remarquer que tout de même, ce chien, on ne le connaissait pas, on ne savait rien de lui, on ne pouvait pas le laisser là, seul, dans la maison.
Alors, tout doucement, on le fit lever, on le mena vers la porte
Il s’assit au coin du seuil, écouta la porte qui se fermait sur la salle bien chauffée, regarda la famille s’en aller.
Son bonheur aura été de courte durée…
Au loin, une cloche sonna.
Elle égrenait les douze coups de minuit…
Une voix parvint au vieux chien
De la grange, un petit âne gris, comme il y en a partout dans notre Provence, l’appelait.
Il ne s’étonna pas plus d’entendre parler un âne que de s’entendre répondre lui-même
Il entra dans la grange : l’âne, les moutons, les chèvres, un vieux biou au mufle grisonnant…Toutes les bêtes de la maison, même la basse-cour, se trouvaient là et lui firent place.
Puis toutes s’agenouillèrent, et commencèrent à parler.
Parce qu’en Provence, on sait que la nuit de Noël, les bêtes reçoivent le don de la parole, en souvenir et reconnaissance de ce que l’âne et le bœuf ont réchauffé le petit Jésus dans la crèche.
Mais malheur à celui qui tenterait de les épier !
La mort serait son lot.
L’âne dit au vieux chien
Alors du fond de son cœur, le vieux chien souhaita une chose qui lui sembla folle : avoir une maison où on l’aimerait, d’où il ne devrait plus jamais s’en aller, jamais…
Quand la famille rentra, on partagea les restes des 13 desserts, on but le vin cuit, on chanta les vieux noëls provençaux.
Puis chacun alla se coucher.
Personne ne remarqua que dans la crèche, un peu en retrait, entre l’âne et la mangeoire où dormait le petit Jésus, il y avait un nouveau santon.